vendredi 15 novembre 2013

Jimmy, Georges, Arnaud et les autres

Le film d’Arnaud Desplechin, hommage aux études de cas freudiennes, est en réalité une psychanalyse de l’analyste. Guérisseur de l’âme, celui-ci n’échappe pas aux contradictions de son identité. Mise en scène du pouvoir transformateur de l’analyse et du besoin universel qu’en auraient les hommes, le film efface en partie le projet historique du livre qui l’inspire et invite à examiner la logique d’une œuvre — celle du cinéaste.

Le film de Desplechin enracine ainsi, fort clairement, le mal-être de Jimmy dans le social. Il met aussi en scène sa rébellion finale contre cette identité imposée, là encore non sans réalisme vue la période. Ayant servi dans l’armée américaine en 1941-1945, les Indiens sont de moins en moins prêts à se laisser traiter de noms qui ne sont pas leurs. Ils ont surtout beaucoup plus d’occasions d’être confrontés à ce problème. À l’armée, dans les trains qui les conduisent dans les grandes villes américaines où ils commencent à migrer en masse, comme la sœur de Jimmy, comme Jimmy lui-même, peut-être, à la fin du film, les Indiens, quel que soit leur groupe tribal, sont confrontés au même problème : on les invite à s’intégrer dans la société américaine, tout en les ramenant toujours, plus ou moins subtilement, à une différence radicale. Lors de leur premier entretien, Devereux brise la glace en demandant à Jimmy son nom dans sa langue indienne, le blackfoot ; mais la bataille pour le nom n’est pas seulement un combat individuel, c’est aussi un combat collectif pour tenter de contrôler la manière dont les non-Indiens disent l’identité indienne en général. Jimmy P. pourrait faire signe vers ce combat collectif — mais s’en abstient.

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mercredi 6 novembre 2013

Petite bibliothèque de l’amoureux

Introduction :
Nous sommes héritiers d’une époque où « nous avons laissé tomber l’amour » (Günter Anders) et contemporains d’une époque où cette tendance s’est inversée, au profit d’une évocation qui prend parfois les allures d’une incantation. L’amour semble être devenu « une façon interne de comprendre et d’aborder la vie sociale », dans une époque de remise en question des grands systèmes politiques.
Si Platon écrit que l’amour « enfante de beaux discours », il convient de s’interroger sur leur nature. Leur pouvoir de séduction, leur artifice, ne s’opposent-ils pas à la vérité, à la spontanéité des sentiments ? En effet, tous ces discours et textes ont affirmé le caractère essentiellement séducteur de l’amour, ne serait-ce qu’en le représentant sous une forme esthétique et cultivée, donnant « au simple désir  sa véritable dimension érotique ». Gilles Tiberghien ne s’est pas proposé de rassembler les textes les plus significatifs sur la question, mais plutôt d’offrir un parcours de lecture selon un goût et des choix personnels. Les textes choisis évoquent une expérience commune, mais dont le sens ne se laisse pas aisément déchiffrer. (« Dire l’amour, le penser, ce n’est possible que dans un certain isolement, ou dans ce retrait particulier ménagé par les corps des amants. »)  Les textes sur l’amour ne semblent pas parvenir à abolir la distance entre les mots et l’amour, mais c’est aussi ce qui fait leur intérêt et c’est pourquoi Gilles Tiberghien n’a pas donné la préférence à des textes théoriques prétendant nous dire la vérité sur la question, mais plutôt à des textes dont les auteurs, poètes, romanciers ou philosophes, lui ont semblé éprouver ce qu’ils écrivaient, ce qui ne peut s’exprimer qu’à travers leur style. Mais il ne s’agit pas pour autant de textes qui ne feraient que décrire une expérience personnellement vécue : ces textes ne peuvent présenter un intérêt universel que si l’écrivain, à partir des affects qu’il a fait résonner en lui, a su en « trouver la formulation pour en développer les possibles », sans les limiter à son expérience personnelle. L’amour et la raison ne sont donc pas incompatibles, mais on présage, à la lecture de l’introduction de l’ouvrage, que la pensée de l’amour est susceptible d’échapper au cadre du langage, tout aussi scandaleusement que l’amour lui-même peut porter atteinte à l’ordre établi, comme le dit le début de l’introduction.

copyright : L’œil de Minerve
par Danielle Faraud
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