lundi 5 avril 2010

Les six pãramitã


Le terme pãramitã se traduit littéralement par "ce qui a atteint l’autre rive, le transcendantal". Ordinairement traduit par perfection, il désigne les vertus nécessaires à l’homme pour parvenir sur l’autre rive – le côté face ou pile de son existence - le Nirvana. Dans le Mahãyãna, ne sont généralement enseignées que les six premières, formant ainsi un sizain. Les cinq premières - Don, Ethique, Patience, Enthousiasme et Concentration - concernent la méthode, la sixième - connaissance, science ou sagesse, - fait référence à la souplesse nécessaire dans l’application de la méthode et la compréhension juste de ce qu’est la vacuité.
La première est dãna pãramitã (cf. fuse haramitsu en japonais) que l’on traduit par le don ou la générosité. Maître Dôgen, dans son texte Bodaisatta Shishobo , écrit : - Le don, c’est le contraire de l’avidité, de la convoitise et de la quête de faveurs. C’est partager ce que l’on a de plus précieux avec un inconnu. C’est en oeuvrant avec l’esprit du partage que l’on instaure la paix dans le monde.
Dans les sutras, il est fait mention de l'acte de tout donner ou de se donner entièrement - y comprit son temps et parfois même son corps. De prime à bord, ce genre de don inconditionnel semble impossible à faire pour les simples pratiquants que nous sommes. Dans sa bonté, Maître Dôgen nous rassure en écrivant : - Il est vrai que rien ne nous appartient, mais cela ne devrait pas nous dispenser du partage. La valeur du don importe peu, c’est la sincérité du geste qui est essentielle.
La seconde est sîla pãramitã (cf. kai haramitsu en japonais). Le terme sîla désigne les règles éthiques. Règles comme conditions - abandonner les vices communs - pour progresser sur la Voie qui mène à l’Eveil. Ces règles se fondent sur le respect du vivant et la nécessité de maîtriser son corps, son mental, ses paroles et sa pensée, car la confusion mentale et le désordre émotionnel nous mènent à la souffrance. Ce qu’il faut savoir : - La complète suppression des vices n’est pas un préalable pour progresser sur la Voie à condition que l’on avoue, que l’on se repente, que l’on s’efforce de vivre selon ces règles et surtout que par la pratique soutenue de zazen, il y ait diminution du nombre des manquements aux règles. Suivre les règles, c’est aussi vivre sa quotidienneté sans arrogance, sans orgueil, sans malice et sans désir de nuire, mais avoir un profond respect de l’autre et de soi-même.
La troisième est ksãnti pãramitã (cf. ninniku en japonais). Le terme ksãnti désigne la patience. D’abord la patience dans l’adversité, oublier la loi du talion (cf. œil pour œil, dent pour dent) bien que cela puisse paraître légitime. La patience - passivité sereine - donne souvent naissance à de hautes vertus. Il nous faut arriver au fait que notre nature - généralement offensive contre les actes ou paroles d'autrui que l’on considère comme une offense - ne soit pas à même de produire une réaction, même involontaire, de violence, mais plutôt une réaction non_appropriée à la situation, selon les critères de notre société, qui laisserait l’autre pantois. Sans se laisser aller à développer en soi l’esprit de victime en nourrissant l’idée décrite dans le Dharmapadda : - Il m’a insulté, il m’a frappé, il m’a humilié, il m’a volé. Ceux qui nourrissent de telles pensées n’apaisent pas l’esprit.
La patience, c’est aussi ne pas craindre de perdre pied avec les notions comme le non_moi, le non_permanent, la vacuité, et s’attendre à des multitudes de difficultés, non pas avec résignation mais avec un état d’esprit héroïque.
La quatrième est vîrya pãramitã (cf. shôjin en japonais). Le terme vîrya désigne, selon les traductions, la persévérance, le courage, l’effort, l'enthousiasme. L’effort dans la recherche de la justesse, la persévérance pour éviter tous les obstacles comme la paresse ou la fumisterie et avoir le courage de ne pas se contenter de petites actions honnêtes, mais désirer pratiquer sans compter. Maître Dôgen, dans son Fukanzazengi, écrit : - Si nous voulons atteindre l’éveil, il est nécessaire de pratiquer sans tarder, et préconise dans le Rai hai tokuzi une attitude franche : - (…) Il nous faut nous séparer de toutes nos mauvaises habitudes, arrêter de perdre notre temps et pratiquer la Voie avec sincérité et détermination. Pratiquer sans se soucier de savoir si nos attentes seront comblées ou non.
La cinquième est dhyãna pãramitã (cf. zenjô haramitsu en japonais). Le terme dhyãna désigne la pratique de zazen. Koun Ejo conseille dans le Komyozo zanmai de procéder comme suit : - Pratiquez une assise constante et calme. Si vous ne recherchez pas à maintenir le flot de vos pensées, elles ne s’ancreront pas d’elles-mêmes. Seulement s’asseoir comme si vous étiez l’univers infini ou une boule de feu. Immergez-vous avec confiance dans l’inspire et l’expire. Par conséquent, il est nécessaire d’abandonner une pratique qui ne se fonde que sur la compréhension intellectuelle et sur les concepts. Apprendre l’introspection qui dirige la lumière vers l’intérieur, pour illuminer notre vraie nature. Le corps et l’âme d’eux-mêmes s’estomperont, et notre visage originel se révélera.
Par expérience, toute pratique de zazen qui n’est pas soumise à une discipline peut conduire à des aberrations. Ce qu’il faut savoir, c’est que les pãramitã sont présentes dès qu’il y a vœu de bodhisattva et désir de l’esprit d’Eveil, mais elles ne peuvent se manifester qu’à partir de la pratique de zazen. Ainsi les instructions de Maître Dôgen dans le Fukanzazengi sont précieuses comme les points à observer en zazen préconisés par Keizan Jôkin dans son zazen yôjin ki.
La sixième est prajnã pãramitã (cf. hannya haramitsu en japonais). Le terme prajnã désigne la sagesse, la connaissance ou science qui transcende la raison sans la contredire. C’est la pierre angulaire des pãramitã. Sans cette connaissance, les autres pãramitã sont privées de l’entendement ou de tous les constituants du Sentier Octuple. En effet, une personne peut prétendre agir avec justice et pourtant être motivée par la méchanceté. Elle peut prétendre, et même finir par croire, agir par compassion, mais cependant être poussée par un désir de pouvoir. Selon Maître Dôgen : - Si nous respectons la prajnã, tout s'actualise naturellement. C'est ce qui est désigné par préceptes, samadhi, intuition et les vœux de sauver tous les êtres, mais aussi par mu, la vacuité .
In fine, la prajnã c'est la victoire remportée sur l'ignorance, origine de toutes les illusions et de toutes les souffrances, et les pãramitã sont la discipline qui y mène tout en étant originaire de la sagesse.

Jisha | juin 2005