mercredi 1 mai 2013

Histoire de la pauvreté errante


Une recrudescence de la pauvreté errante : les SDF

La dernière période traitée par l’auteur (de 1970 à nos jours) est marquée par une recrudescence de la pauvreté errante. Si l’embellie économique de la période précédente avait permis du juguler le phénomène, la crise de 1973 — laquelle annonce pour les décennies à venir la montée du chômage, de la pauvreté et de l’insécurité de l’emploi — augure de l’apparition d’une nouvelle catégorie de pauvres, les SDF, davantage définis par l’absence de logement que par l’itinérance. Aux effets de la crise économique s’ajoute en effet la faillite d’une politique de logement qui, observée depuis l’Appel de l’abbé Pierre en 1954 jusqu’aux actions des enfants de Don Quichotte en 2006, démontre en négatif son incapacité à assurer un des droits les plus élémentaires : celui de se loger. À défaut d’éradiquer cette pauvreté des plus visibles (observable dans la rue, le métro) et légalement tolérée depuis l’instauration du nouveau code pénal de mars 1994 qui met fin au délit de mendicité, les pouvoirs publics tendent aujourd’hui à prendre des mesures visant à mettre à distance les SDF dans un souci d’hygiène sociale (éloignement des centre-ville, des centres commerciaux, etc.) et, partant, à invisibiliser un phénomène qui n’en demeure pas moins réel et préoccupant, justifiant ainsi l’intervention démultipliée des œuvres privées aux côtés des mesures étatiques d’assistance (RMI,CMU).

Un prolongement de l’œuvre de Geremek

Ce livre, qui se situe explicitement dans le sillon de l’œuvre magistrale de Bronislaw Geremek (op. cit.),en prolonge le raisonnement en insistant en particulier sur la transfiguration de la figure du vagabond marginal en vagabond exclu et désaffilié (p. 14-15), en élargissant l’objet du vagabondage aux routards, gitans et autres gens du voyage et, surtout, en offrant au lecteur une plongée dans l’histoire contemporaine. Sur ce point, on pourra regretter que l’auteur insiste assez peu sur quelques-unes des figures contemporaines et notamment genrées du sans-abrisme : si les femmes restent minoritaires en représentant entre 15 et 20% de la population sans-abri, qu’en est-il de leur trajectoire sociale et de leur condition de SDF dans un monde de l’errance à dominante masculine ? Autre apport de cet ouvrage, qui appelle cependant à de nouveaux développements : en rattachant la condition vagabonde à une subculture dérivée de la culture dominante [5], la question de la domination sociale est certes posée, sans pour autant être traitée de manière critique et politique comme le font plus explicitement Patrick Gaboriau et Daniel Terrolle pour qui le phénomène SDF et son « impossible » éradication ne sont qu’une expression de la violence d’État [6]. En passant de l’enfermement à la relégation, la potence revêt en effet de nos jours les habits d’une violence réelle et symbolique caractéristique des nouvelles formes de domination sociale. Ces quelques remarques n’enlèvent rien à l’intérêt et à la qualité de cet ouvrage qui, dans la forme et dans le fond, nous invite surtout à poursuivre le croisement des regards sur cette question complexe et dérangeante que représente la mise à l’écart d’une fraction irréductible de la population dans une République prétendument solidaire et égalitaire, figurant au cinquième rang des pays les plus riches au monde.
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Nicolas Roinsard, « Histoire de la pauvreté errante », La Vie des idées, 1er mai 2013. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/L-errance-au-ras-des-siecles.html