lundi 19 novembre 2012

Le philosophe Pierre Guénancia : Se connaître soi-même...et tous les autres


Pierre Guénancia

Je partirai de la distinction entre la connaissance de soi où « soi » désigne l’humain, et la connaissance de soi où « soi » désigne l’ego, comme on dit dans la philosophie moderne. Cette question est vénérable, même si je vais chercher à la critiquer un peu. Elle est tout à fait vénérable par son antiquité, par sa dignité. Elle n’est pas forcément très claire, vu la complexité des niveaux d’organisation de cette question. Cette question est contemporaine de la philosophie. Au fond, la philosophie commence à partir du moment où le philosophe demande à l’homme de se connaître lui-même, et elle a été continuellement associée à la philosophie et répétée un peu comme l’incipit de toute investigation, de toute enquête sur les choses de la nature. Mais il faut bien prendre en considération que ce n’était pas un domaine réservé : c’était le préambule à toute autre connaissance, et donc devant mener à cette autre connaissance. Un philosophe qui n’est pas particulièrement socratique comme Hobbes – philosophe de la politique – place justement le nosce te ipsum (il le dit en latin), gnôthi seauton (il le dit aussi en grec) au commencement de sa philosophie, afin justement de bien souligner que l’homme doit d’abord et avant tout savoir ce qu’il est, avant de chercher à connaître ce que sont les choses différentes de lui. Donc, de ce point de vue, cette idée de la connaissance de soi chez Pascal, Jean Mesnard l’a rappelé, a une position très forte ; c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de croire que se connaître c’est se tourner vers soi à l’exclusion des autres. Au contraire, c’est justement se tourner vers les autres afin de pouvoir se voir soi parmi les autres choses de la nature et donc comme une des choses de cette nature ou de cette société, ou de cette humanité, et non pas comme une chose unique.
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Ecoutez l' émission avec Jean Mesnard :  Se connaître soi-même, pourquoi, comment ?

jeudi 15 novembre 2012

Règles monastiques et Forme de vie


Giorgio Agamben a publié en 2011 De la très haute pauvreté, règles et forme de vie, traduit en français et publié récemment par les éditions Rivages.
Le nouvel ouvrage d’Agamben – qui vient d’être suivi par la publication d’un volume séparé intitulé Opus Dei, Archéologie de l’office– s’inscrit dans la recherche de ce philosophe italien. Ce nouveau livre fait partie d’une œuvre plus large appelée par Agamben Homo Sacer – en l’occurrence Homo Sacer , IV, I pour ce nouveau livre.  L’homo sacer renvoie à un statut juridique qui trouve son origine dans le droit romain. Il désigne une personne qui n’a plus aucun droit civique.
Ce concept désigne pour Agamben la condition emblématique de l’homme moderne pour qui la vie biologique et la vie politique sont en rupture. Réduit à sa vie biologique, l’homme n’a plus d’importance politique.
Il était donc logique que Giorgio Agamben s’intéresse au cas original que pose la vie monastique puisqu’elle manifeste le désir d’échapper au droit et aux différents pouvoirs qui régissent la société humaine. La vie monastique a ceci de paradoxal qu’elle fait appel à une règle pour échapper au droit qui régit la société des hommes.
Le livre d’Agamben se partage en trois chapitres :
1) Règle et vie
2) Liturgie et règle
3) Forme-de-vie
Par Christophe Leblanc
Cet article n’est pas de zenplanet. Lire la totalité de l’article sur Hypotheses.org

jeudi 8 novembre 2012

Causalité et temporalité


Causalité et temporalité
Ce bilan politique montre déjà l’intérêt de cette enquête sur les rapports de Spinoza à Machiavel. Là n’est pourtant pas l’essentiel : il s’agit de comprendre comment Spinoza rencontre et lit l’auteur des Discours, comment avec lui il transforme son ontologie, en réorganisant sa double théorie du temps et de la causalité. Si, dans ses écrits de science politique, donc d’histoire, Machiavel met en œuvre un concept de cause, c’est Spinoza qui, dans le cadre de la crise qui inaugure la modernité scientifique, s’en saisit pour l’élaborer théoriquement. Ou plus exactement, il est conduit, à distance d’une théorie unitaire de la causalité, à distinguer ce qui relève du rapport logique de principe à conséquence et ce qui procède d’une causalité spécifique aux pratiques humaines, donc à l’histoire et à la politique. Or, comme la cause est indissociable du temps, c’est à une double reconfiguration théorique que nous allons assister.
Au risque d’être schématique, disons que, traditionnellement, la cause est conçue dans la succession ou la série des phénomènes, soit pour faire apparaître un phénomène antécédent comme ce sans quoi le phénomène expliqué n’existerait pas (causalité mécanique ou efficiente), soit comme ce qui est à la fin et confère à la série antécédente son sens ou sa raison (cause finale). Cette antinomie se double d’une autre, portant sur le caractère infini ou fini de la série des causes et des effets, c’est-à-dire sur la question de savoir si le monde est fini, donc créé par un projet qui le transcende, ou s’il est infini dans l’espace comme dans le temps, donc résultat d’effets mécaniques aléatoires. Appliquée aux phénomènes humains, cette articulation du temps et de l’éternité permet de justifier théologie et philosophie de l’histoire : soit pour dire que l’histoire est l’effet d’une chute, d’une perte de l’être originaire que l’humanité, dans le temps, cherche à reconquérir ; soit pour dire, au contraire, mais selon le même schéma théorique, que l’histoire est le procès de la réalisation effective de l’essence de l’Homme. On reconnaît là la pensée moderne du progrès, telle qu’elle se construit de Leibniz à Hegel, en passant par Lessing ou Herder. L’auteur du Traité théologico-politique ne semble pas exempt d’une telle tentation philosophique. Morfino montre, dans ses pages les plus profondes, que l’auteur de l’Éthiquea reconnu là l’imaginaire théologique qui nourrit les philosophes, à l’exception des épicuriens. Le symptôme de cette mutation interne, il le trouve de façon convaincante dans la substitution du concept de connexion à celui de série utilisé jusque-là. Or, si une série est linéaire, une connexion est un réseau ou un tissu qui voit se concentrer une pluralité de lignes en un point, ou mieux elle est ce qui constitue un point, un individu ou un événement, du fait de cette concentration. C’est précisément cela que le secrétaire florentin, parce qu’il réfléchissait sur les conditions de l’action et de son efficace, tente de penser sous le terme d’occasion, que nous pouvons concevoir comme conjoncture. Du coup cette causalité complexe oblige à se départir du temps, tel qu’il est élaboré à partir de l’imagination des conjonctions entre des mouvements dont l’un (le mouvement du soleil) sert de référent, au profit d’une durée conçue comme perpétuation de l’existence d’une chose. Si la durée est solidaire de l’existence des choses existantes, et si celles-ci sont déterminées à être et à être ce qu’elles sont par les relations nouées avec les autres choses, alors elle ne peut être indépendante des rythmes et des rencontres qui se nouent entre les choses (p. 178-179).
Pour en rester au domaine des pratiques humaines, un tel concept s’oppose à l’image d’un temps linéaire, référentiel fixe « dans » lequel passe l’histoire orientée vers une réalisation qui lui donne sens (ce qui constitue le moderne schéma de l’idée de progrès). Il lui substitue des durées différemment rythmées, déterminées dans leur nécessité par des rencontres multiples et aléatoires, impossibles à totaliser sous une notion unique, donc ne pouvant pas apparaître comme processus de réalisation d’un sens. La philosophie de l’histoire est renvoyée au récit mythique du devenir (de l’humanité ou d’une nation), au profit d’une histoire qui s’efforce d’enquêter, jamais de façon exhaustive, sur le « tressage aléatoire de nécessités » (p. 180) en vue d’expliquer persistance dans l’existence ou disparition de telle ou telle société. Connaissance jamais complète, d’une part parce que les connexions s’enchaînent à l’infini, d’autre part parce qu’elle est soumise aux conditions matérielles de son effectuation, autrement dit parce que l’histoire s’écrit la plupart du temps du point de vue des vainqueurs, ne serait-ce que parce que ceux-ci détruisent plus ou moins les traces des vaincus. Cette conception « antihumaniste » du temps fonde aussi une pratique politique qui rejette tout recours à un modèle de société idéale, et considère comme imaginaire le thème d’un législateur unique fondant d’un seul geste une société parfaite. L’enjeu, pour nous, est d’essayer de comprendre comment le pouvoir est concrètement lié à ceux sur qui il s’exerce, donc quelle connexion détermine, hic et nunc,les « événements » (accidenti chez Machiavel), afin de pouvoir au mieux régler les conflits passionnels, éclairer la manière dont les possibles apparaissent. « La nécessité n’enlève pas mais pose la liberté » pensait Spinoza. Morfino éclaire cette formule de façon nouvelle en la rapprochant de celle de Machiavel : la vertu ne peut supprimer la fortune, mais elle peut « ourdir les fils de sa trame ». La question de l’action est alors celle du « degré de puissance dans l’espace ouvert et aléatoire de la conjoncture » (p. 165). Toute la question est alors de connaître au mieux cette conjoncture ou connexion.
On comprend ainsi que le livre de Morfino n’est pas écrit pour les seuls historiens de la philosophie, mais qu’il fournit des outils conceptuels nécessaires à notre appréhension de la politique contemporaine en nous aidant à penser la politique sans l’ombre théologique que la philosophie de l’histoire projette sur elle et en élaborant certains des concepts utiles pour concevoir ce qu’est une conjoncture. Tel qu’il est « relu » par Machiavel, le texte de Spinoza change d’allure. Là où l’on trouvait des modèles de constituions stables, ce que l’on pouvait prendre pour figures de l’Etat idéal, on a une théorie du conflit, de la précarité de l’État comme de toutes choses finies : le durable n’est que ce qui a été construit de manière à pouvoir résister aux causes d’effondrement présentes nécessairement en toute société. C’est de celles-ci qu’il faut partir pour penser en politique de façon rationnelle. C’est pourquoi nous devons nous efforcer de prendre ensemble Spinoza avec Machiavel.
par Gérard Bras [07-11-2012]

Lire la totalité de l'article Gérard Bras, « Machiavel et Spinoza, le temps d’une rencontre », La Vie des idées, 7 novembre 2012. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Machiavel-et-Spinoza-le-temps-d.html

mercredi 7 novembre 2012

La tripartition du champ temporel comme fait de culture


Examen des termes désignant le présent, le passé et l’avenir dans diverses langues.
L’étude présentée ici n’a de sens, qu’à partir d’un accord de principe sur le statut même de ces trois « instances » du temps. On considère ici que l’articulation entre présent, passé et avenir est au coeur de la perception humaine du temps ; elle est la base même des « cultures du temps », et pas seulement en Occident. Dans les pagodes vietnamiennes, trois figures du Bouddha (Phât), trois divinités associées accueillent les fidèles : Amithaba le Bouddha du présent, Cakyamuni le Bouddha du passé, et Maitreya le Bouddha de l’avenir ; ils sont tantôt représentés côte-à-côte, tantôt même unis dans un tronc commun dont émergent trois têtes à la fois soudées par le cou et distinctes, et qui regardent dans trois directions2. Un autre exemple de cette « ternarité » du temps est relaté par le poète Armand Gatti. Dans le camp d’extermination de Buchenwald où il avait été déporté, trois rabbins avaient mis en scène pour leurs co-détenus une pièce dont les trois personnages qu’ils figuraient s’appelaient Ich bin (je suis), Ich war (j’étais), Ich werde sein (je serai)3 ; il est permis de penser que l’écho de la culture hébraïque du temps restait vigoureux chez ces rabbins persécutés comme « Juifs allemands ». Par leur voix, c’était dans la combinatoire des trois termes fondateurs du temps, que les déportés tombés dans cet abîme de détresse puisaient leur détermination à tenir bon, leur volonté d’être.

Lire la totalité de l'article de Jean Chesneaux Professeur émérite, Université Paris VII (histoire contemporaine de l’Asie orientale ; Directeur d’études, École des Hautes études en sciences sociales ici

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