dimanche 7 mars 2010

Le cinquième empêchement

Pour Bouddha, l’esprit critique, ou le doute, semble inséparable de toute véritable pratique, alors pourquoi dans son enseignement figure-t-il parmi ces cinq empêchements qui ne permettent pas (avec toutes les volontés du monde) cette unification de l’esprit qui est essentielle à la résolution de la problématique de la souffrance ? Y aurait-il plusieurs formes de doutes ?

En effet, il y aurait plusieurs formes de doutes : Le doute ordinaire, le doute extrême, le doute modéré et le doute méthodique. Ceux que nous connaissons le mieux sont le doute dit ordinaire et le doute dit méthodique. Le premier, nous le connaissons, car nous le pratiquons ou l’avons pratiqué, le second est préconisé par Descartes.

Le doute ordinaire (celui qui nous intéresse) est une émotion qui a très peu à voir avec une démarche intellectuelle cartésienne, philosophique ou scientifique. Il en est fait mention dans la psychologie du Bouddha. Ce doute naîtrait du sentiment d’incertitude quant aux évènements, aux personnes ou au refus de ne pas être à même de comprendre ce qui se passe ou ce qui se trame. Nous n’arrivons pas à nous détacher de cette émotion et finissons par nous convaincre que nous savons et alors c’est le média qui est remis en question. Par exemple, nous ne comprenons pas un texte, alors nous déclarons qu’il est mal rédigé, que l’auteur est trop compliqué ou que le sujet traité est trop complexe. Si nous ne recevons pas la reconnaissance que nous escomptions, alors c’est la Voie qui est remise en question. Quand la compréhension de la Voie nous semble difficile, alors c’est l’enseignement du maître qui est remis en question par un questionnement incessant. Wittgenstein dans son ouvrage « De la certitude » dit que si l’élève se mettait à interrompre sans cesse le maître en exprimant des doutes, alors il se mettrait en position de non-apprentissage.

Pris dans les méandres de nos émotions, il nous est difficile d’avoir cette vision juste qui nous permet de voir à travers les apparences et de trouver l’origine du doute. Cela demande de suspendre tout jugement et de ne pas user de termes impropres avec des déductions abracadabrantesques. Le doute ordinaire n’a aucune utilité, mais par contre, il provoque des désirs, des peurs, des jalousies (toute la collection des poisons). C’est en cela qu’il est vu comme empêchement, car il ne permet pas d’avoir le calme du cœur comme celui de l’esprit. Il empêche toute possibilité de concentration, de compréhension et de sagesse.

Bouddha suggère de faire preuve d’esprit critique (ne rien prendre comme allant de soi ou pour acquis) à savoir : s’interroger sur le bien-fondé de tout ce qu’il pouvait dire et par là même, refaire nous-mêmes le cheminement qui l’a mené à établir l’origine de la souffrance et d’expérimenter son protocole de guérison. Ainsi, il nous est possible de faire l’économie du sentiment d’incertitude et de ne pas se laisser aller au doute ordinaire. S’il conseille d’avoir l’esprit critique, c’est pour que nous soyons libres d’agir par nous-mêmes et ne pas avoir cette attitude que Nietzsche a comparée à celle d’un troupeau. Mais en choisissant une pratique, après avoir pris les précautions d’usage en usant de cet esprit critique, il est impossible de la mettre en doute tout en y demeurant, car c'est notre vie même qui deviendrait impossible. Descartes, qui préconisa la méthode du doute pour parvenir à ce qui est vrai, arrive finalement à la conclusion que dans le quotidien, tant dans le domaine théorique que dans celui de la pratique, il ne nous est pas permis de douter de tout. Dans le quotidien, même si nous pratiquons une voie, il nous faut agir, le doute radical nous ferait jongler avec la folie.