dimanche 9 mai 2010

Les trois entrainements

La quête du confort, par ces temps, est devenue une priorité. Cela nous mène à un déploiement de moyens et d’artifices pour nous procurer tout ce dont nous pensons être nécessaire pour mener une existence jugée correcte. Si bien qu’il nous arrive de confondre le besoin d’une qualité de vie avec la qualité de la vie. La vie, pour un petit nombre d’entre nous, est de loin plus agréable - sur le plan matériel - que pour une grande majorité de gens qui vivent dans les régions défavorisées du globe. Et pourtant entourés de nos gadgets - matériels ou outils psychologiques - à mieux-être, nous nous sentons de plus en plus esseulés. Le facteur " niveau de vie " qui y contribue pour une part ne semble plus suffire à nos besoins de qualité de vie. Il n’est pas difficile de s’apercevoir qu’elle ne dépend pas exclusivement de nos acquisitions et de notre environnement mais en grande partie de la relation que nous entretenons avec un tout. La qualité de cette relation est dépendante de l’état de notre esprit. Lorsque ce dernier connaît certains manquements, il est difficile de s’apprécier, d’apprécier ceux qui nous entourent et de jouir sainement de ce que l’on a. A vouloir le bonheur, à tout prix on finit par le vouloir à n’importe quel prix. Cette attitude active des éléments perturbateurs comme la jalousie, les craintes, la haine. D’où cette difficulté de nous maintenir dans un état de quiétude. Notre esprit sous l’emprise de l’agitation finit par se morceler et par créer le désordre en nous. C’est avec cet outil – l’esprit – rendu non efficient que nous percevons notre vie qui s’hypertrophie d’habitudes, de fixations à un semblant de permanence. Elle finit par se figer sur la défensive pour ne pas perdre le contrôle et éloigner le spectre du mal-être. Cette situation faite de déconvenues et de plaisirs devient pour nous le monde véritable d’où prennent source, à notre insu, nos insatisfactions qui engendrent nos souffrances. Serions-nous naturellement réfractaires au bonheur? Est-ce cela ce fameux monde du samsara? Peut-on espérer pouvoir s’y soustraire? Maître Dôgen dit dans le Genjokoan qu’il nous faut la volonté de se connaître soi-même. Pour Saint Augustin se connaître soi-même, c’est tout d’abord se quaerere, rechercher ce soi-même, le grand problème que je suis pour moi-même (Conf .X 25,50). Cette quête de soi-même pour l’un n’est possible que par l’aide de Dieu, pour l’autre, par l’étude du Bouddhisme. Pour y parvenir, autant Saint Augustin que Maître Dôgen, suggèrent l’abandon de l’être monde, de ne plus être un instrument du monde. Dès qu’il y a une quête, tant chez Saint-Augustin que chez Maître Dôgen, il y a naturellement abandon et rupture avec le monde. Le salut, l’abandon ou la rupture avec le monde – celui du samsara – n’est possible dans la voie Bouddhique – celle de Maître Dôgen – que par cette volonté de se connaître soi-même. C’est la quête, sa quête. Dès qu’il y a une quête, il y a automatiquement naissance d’une discipline et, pour y parvenir sans encombre, il est nécessaire de s’appuyer sur cette discipline, hors du sens commun de contrainte ou d’adaptation.Cette quête est irréalisable sous la crainte ou par l’adaptation. Cela s’apparenterait plus à une attitude destructrice car elle cause le conflit, l’ambition, la résistance et l’anxiété. La discipline dont il est fait mention n’est pas celle dont on aurait besoin pour matérialiser une ambition. Comment y parvenir ?

De la méditation.
Comme tout prend source dans l’agitation de l’esprit, il est nécessaire de parvenir à le stabiliser afin qu’il cesse d’être morcelé. Si nous étions plus attentifs aux répercussions de nos paroles et de nos actes, nous créerions moins de conflits et moins de conflits c’est déjà moins de souffrance. Il nous faut nous entraîner à la concentration. Comment ? En se réservant un espace de méditation et en évitant de se contraindre. La méditation pleinement acceptée, celle qui est pratiquée sans ambition, sans attente, permet de développer l’attention, l’a-tension, la vigilance, et à percevoir ce qui est. Moins agité, moins morcelé, cet esprit devient plus clair et nous pouvons prendre conscience de ce que nous faisons, de ce que nous commettons ou de ce que nous sommes. Nous devenons plus responsable, plus ouverts et plus bénéfique à autrui.

De l’éthique.
L’action de méditer n’est pas un acte spirituel ou religieux, c’est seulement une discipline qui met un certain ordre dans notre mental. Cet ordre qui nous fait défaut. Mais elle ne peut être plus opérante que quand elle peut prendre racine dans une quête de sens, ou s’appuyer sur une base éthique. Dire, aujourd’hui, qu’il nous faille une certaine dose de vertu fait ringard. S’appliquer à la vertu, ce n’est qu’apprendre à ne pas souhaiter et vouloir nuire à autrui et à soi-même. Ne pas souhaiter le conflit et vouloir l’harmonie : c’est un travail à effectuer sur soi-même que de vouloir changer le monde et les autres. Vouloir agir dans ce sens n’est que pure folie.

De la sagesse.
La concentration nous donne une certaine maîtrise de l’esprit. C’est ce qui pousse certains individus à vouloir méditer, car cela procure de l’ascendant sur autrui. D’où cette nécessité d ’y adjoindre une quête de sens et de transcendance. Mais cela ne suffit pas. L’individu qui s’adonne à la méditation et à la vertu doit se protéger en développant sa sagesse. Cette sagesse qui construit une compassion juste, celle qui ne naît pas de la sensiblerie. Afin qu’il puisse dire ce qu’il veut, ce qu’il attend sans développer en lui, la contradiction, la compétition, la différence, la fixation, la haine, la jalousie, la peur, l’attachement. La sagesse qui lui permettra de ne pas vivre sa quête sous l’emprise de la confusion comme celle de croire que ces actions impulsives sont de l’intuition et finalement de créer une autre forme de souffrance. Cela serait contraire à la voie Bouddhique.
Le bonheur ne peut naître que de la maîtrise de cet esprit qui crée un monde chimérique. Ce monde de chimères prend racine en nous. Tous, nous avons une histoire. Tous, nous avons bâti une ligne de défense qui finalement ne nous permet plus de saisir et de comprendre notre propre nature. Seulement s’offrir à la voie tels que nous sommes et non pas tels que nous voulons, alors notre pratique pourrait prendre une autre dimension. L’acte de méditer, la voie, devient religieux et spirituel, c’est la réalisation.

Causerie | impromptu |Kogan Hosenji | Retranscrit par Sr Jiho Myoshitsu